KPI : Key Performance Indicator.
Derrière cet acronyme aux accents caporalistes se cache la clé de voûte du
management du groupe Total. Tout est question d’indices,
d’indicateurs, de cases à cocher.
Le manageur conquérant de l’an
2020, dégagé des aspects métier, n’est plus jugé que sur des critères
administratifs, l’organisation du travail ramenée à ses éléments les plus
roboratifs, impersonnels.
Et le facteur humain dans tout ça ?
Une distorsion Prescrit/Réel
Dans le monde idéal de la Direction, les
tâches effectuées par les subordonnés se résument au travail prescrit. Chaque
salarié, chaque service, se voit assigner des objectifs, d’autant plus passés
au crible qu’ils seront chiffrés, cotés.
Seulement, les assistantes, les
techniciens, les ingénieurs techniques le savent bien : entre le travail
prescrit et la réalité, il y a parfois (souvent) un monde. Nombreux sont les
aléas, les imprévus, les contraintes inopinées qui vont venir impacter le plan
de travail initial.
Dans ce contexte normé, la variable d’ajustement va être le salarié et sa conscience professionnelle. C’est lui qui va s’adapter pour calquer le réel au prescrit, prenant sur lui pour que les délais soient tenus, les résultats délivrés avec la qualité qu’il estime nécessaire. Le problème, c’est que ce travail d’ajustement ne rentre pas dans les cases. Le salarié consciencieux rend un grand service à l’entreprise car il abat de ce fait un travail clandestin.
Les contorsions qu’il aura pu faire le seront de sa propre initiative,
dédouanant le donneur d’ordre. Et peu importe que le système se grippe et
grince par faute de moyens humains ou matériels adaptés, les chiffres ne
mentiront pas : les indicateurs seront passés au vert !
Du « good enough
» au travail clandestin
L’environnement normatif amène un nivellement par le bas du degré
d’exigence technique. Pour cocher les cases, il n’est besoin que du travail
nécessaire et suffisant : le « good enough ».
D’aucuns diront la culture du moindre effort…
Le salarié habité par le goût du travail
bien fait devient alors le seul garant du maintien d’un haut niveau de qualité.
Tout ce qui va au-delà de la norme administrative sera qualifié de « surqualité »,
de travail superflu. On retrouve là des éléments du « Lean Management » et de
sa lubie de traquer le travail soi-disant inutile (voir
notre tract « Lean quesako?
» sur ep.cgttotal.fr).
L’évolution récente de l’organisation du travail conduit ainsi à un conflit de norme entre le salarié et son environnement technocratique. On aura beau jeu d’installer des référents techniques, ceux-ci pèsent de peu de poids face à l’injonction de reporting. Du nécessaire et suffisant au je-m’en-foutisme, il n’y a qu’un pas… Au temps pour l’expertise technique d’un grand groupe pétrolier…
Iso-lâtrie
et culte du reporting
Certifications (ISO…), accréditations, normes, notations… Le
décorum bureaucratique s’est au fil du temps boursouflé de couches de
procédures toujours plus envahissantes et chronophages. Chaque procédure est
assortie d’un reporting spécifique, parfois lourd et redondant, charge au manageur de
proximité de s’assurer que les indicateurs soient tous correctement renseignés
et remontés à l’échelon supérieur. Il sera d’autant plus incité à pressurer ses
subordonnés que son évolution de carrière en dépend (les fameux KPI).
La situation devient alors paradoxale :
le mille-feuille procédurier impacte le travail réel du salarié mais il ne
quantifie que le travail prescrit ! Une kafkaïsation
jusqu’à l’absurde, énergivore et mangeuse d’homme.
Au final, les chiffres importent plus que
l’activité elle-même, dénotant un refus de se confronter au réel. L’activité
humaine est niée, tendant à être effacée, ne laissant plus qu’une machinerie à
statistique tournant à vide. Une intelligence artificielle sans intelligence.
Dégraissons le mammouth…
procédurier !
4 Appétence technocratique et
appétence technique ne font pas bon ménage !
De même, reporting et efficacité sont deux notions distinctes qu’il s’agit de ne pas
confondre. S’agissant d’un groupe comme Total, l’efficacité énergétique devrait
avoir un sens, non?
Pour la CGT, l’énergie dépensée à garnir le mille-feuille procédurier doit être redirigée. Be simple, comme dirait l’autre…
Faire ré-émerger le réel
4 Il n’est pas anodin que mal-être et
perte de sens soient les deux grand maux du monde du travail actuel.
Il faut adapter le travail à
l’humain et non pas adapter l’humain au travail…
4 Il faut faire ré-émerger le réel,
redonner du sens au vécu et à l’expérience. Le déni du réel équivaut à un
transfert de responsabilité
du
donneur d’ordre vers le salarié qui compense le décalage entre le travail
prescrit et la réalité. Ce n’est pas la même chose que la responsabilisation,
laquelle repose sur la reconnaissance et la valorisation du savoir et des
compétences.
Salariés, ré-affirmez
dans votre EIA la notion de travail réel par rapport aux objectifs
préalablement définis !
4 Il faut redonner du sens à l’action
managériale. Les procédures sont un outil et non pas une fin en soi. Ce qui
fait la qualité d’un manageur, c’est sa capacité à prendre la décision juste, à
diriger ses subordonnés, à réguler l’activité de son service.
Managers, demandez à être jaugés
là-dessus et non pas sur votre aptitude à remplir des tableurs ou à cocher des
cases !
De perte de sens en déni du réel,
le groupe Total se fourvoie peu à peu dans une réalité virtuelle dans laquelle
le facteur humain s’apparente à un artéfact, à
une erreur de procédure.
Pour la CGT, l’intelligence humaine
est une
force et elle doit prévaloir sur tout le reste !