« Je suis voyou »
Le choc des images, le poids des mots. « Violence inadmissible, plainte, licenciements, plus rien n’est respecté, voyou et même chienlit. »
Les médias aux ordres et la classe politique, gardienne du système libéral financier qui nous oppresse, de la droite au PS et avec le gouvernement et le chef de l’état, n’ont pas eu de mots assez durs pour condamner l’action des salariés d’Air France qui défendaient leur emploi. Devant une Direction intransigeante qui, voulant préserver sa « compétitivité », sa « rentabilité », ses « actionnaires », présentait au CCE un nouveau plan de 2900 licenciements après plusieurs milliers de suppressions d’emplois et d’efforts du personnel, la colère des salariés était normale et légitime. Il n’y a pas eu mort d’homme que l’on sache. Un simple petit « effet collatéral » où un DRH perd sa chemise (mais gardant dignement sa cravate et sa tablette). Ceci n’est pas une première. Notre histoire sociale fourmille d’exemples de ce type, que ce soit des salariés où des agriculteurs, qui eux d’ailleurs ont toujours bénéficié de la mansuétude du pouvoir et des médias. Alors pourquoi tant de haine sociale envers des salariés qui défendent tout simplement leur vie ? Quand le système, par le bras des CRS, gaze, matraque des travailleurs pacifiques défendant leur emploi, on parle de « maintien de l’ordre », de défense de l’entreprise et de la propriété privée, mais si un gréviste lance un œuf sur un DRH ou un CRS, c’est un voyou et voire même un terroriste. La criminalisation de l’action syndicale ne date pas d’aujourd’hui. Elle vise à faire des travailleurs dociles : travaille et tais toi, sois licencié et tais toi.
Quand j’ai entendu ce déchainement contre les salariés d’air France je me suis revu en 1999 lors du conflit Elf contre le PDG et financier Jaffré qui voulaient supprimer 1600 emplois. Et j’ai pensé que dans la logique de ce que l’on entendait, oui, j’étais voyou et pas tout seul. Ce conflit qui a duré 106 jours a amené les grévistes de Pau, Lacq et Paris à mener des actions dures et spectaculaires : occupation durant tout le conflit du centre informatique avec blocage de tous les réseaux de l’entreprise. Blocage des gares, de l’aéroport de Pau, portail soudé du Centre Féger à Pau, envahissement de l’AG de actionnaires à la Défense et invasion de la tour Elf, « retenue » de la Direction à Lacq durant 2 jours. Dans l’ambiance actuelle, le nombre d’incidents du type de celui des grévistes d’Air France aurait amené les syndicalistes d’Elf et de nombreux grévistes tout droit en prison. Mais notre détermination et notre unité ont fait plier l’inflexible Jaffré (qui ne s’en est pas remis). Une victoire sociale unique dans les annales, menée par des « voyous » selon la définition actuelle de l’action syndicale du Premier Ministre. La lutte sociale demande beaucoup de courage aux syndicalistes qui sont devant et aux grévistes qui se battent. En France, nombre d’entre eux, sanctionnés durement pour des faits mineurs devaient bénéficier de l’amnistie présidentielle. Ils l’attendent toujours… Les voyous sont ceux qui s’enrichissent sur le dos des travailleurs et des chômeurs. Leur violence, qui exclue 6 millions de sans emplois, qui brise de milliers de vies est sans commune mesure avec une bousculade de Directeurs et une chemise arrachée.
Lescar le 06/10/2015
Michel Aguer, ancien secrétaire général de la CGT Elf
Auteur du livre « les 106 jours qui ébranlèrent Elf »
Livre disponible sur demande au syndicat CGT TOTAL UES AH