Après l’échec, au printemps, de négociations salariales, un mot d’ordre de grève de quinze jours a été lancé lundi sur l’ensemble des installations gabonaises du géant pétrolier français.
L’Organisation nationale des employés du pétrole (Onep), principal syndicat dans ce secteur au Gabon, a lancé lundi un mot d’ordre de grève de quinze jours qui couvre « l’ensemble des installations où opèrent les salariés de Total Gabon ». La profonde crise de confiance entre la filiale du groupe pétrolier français et ses salariés s’est encore approfondie au printemps, après l’échec de négociations portant sur les salaires, l’évolution de carrière, l’instauration d’un treizième mois et la revendication d’un bonus en cas de cession d’actifs de Total Gabon.
Au cœur de ce conflit, les restructurations initiées depuis 2014 par l’entreprise. Celles-ci nourrissent, chez les salariés, une inquiétude encore attisée, l’an dernier, par l’annonce d’une réduction des activités du géant pétrolier au Gabon. Ce choix stratégique s’est aussitôt traduit par la cession des activités onshore (terrestres) de Total Gabon au franco-britannique Perenco, pour 350 millions de dollars. « Ces restructurations ont un impact sur les conditions de travail des salariés et sur leur quiétude. Elles hypothèquent leur avenir, expose Sylvain Mayabi, le secrétaire général de l’Onep. Nous craignons d’autres cessions d’actifs à l’avenir, d’où la revendication d’un bonus pour que soit reconnue l’histoire des salariés avec Total en cas de transfert vers un repreneur. » En interne, la création d’une nouvelle entité juridique, un groupement d’intérêt économique censé mutualiser les fonctions support et administratives, suscite aussi des remous. Les grévistes demandent une « prime d’incitation » pour les salariés acceptant l’intégration dans la nouvelle structure et un plan de départs négociés pour ceux qui la refuseraient. Autre sujet de discorde, la mise en place d’un nouveau système de rémunération, qui équivaudrait, selon Sylvain Mayabi, à « réduire les avantages sociaux conquis dans les luttes et à réduire certaines primes calculées en fonction de la situation familiale, comme la prime de logement ».
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Une économie très dépendante du pétrole
À terme, les salariés redoutent surtout que Total (300 personnes au Gabon, dont 60 expatriés) ne se retire du pays, à l’instar du géant pétrolier anglo-néerlandais Royal Dutch Shell, qui a cédé l’an dernier ses activités de gaz et de pétrole onshore au Gabon à Assala Energy Holdings, une filiale de la société américaine d’investissement Carlyle. « Total, c’est soixante ans d’histoire au Gabon. C’est une base historique, liée à des enjeux diplomatiques, à des jeux d’influence politique, résume le responsable syndical. Mais les faibles cours du baril, ces dernières années, ont affecté sa rentabilité. Pour l’instant, cette filiale réduit sa voilure et se recentre sur les activités offshore, mais Total veut mettre l’accent, à l’avenir, sur l’exploitation en eaux profondes et, comme sa filiale gabonaise pèse très peu dans le chiffre d’affaires du groupe, celui-ci pourrait se désengager complètement du pays. » Avec 44 600 barils par jour, un résultat net de 108 millions de dollars en 2017 et le versement de près de 25 millions de dollars de dividendes aux actionnaires, la filiale gabonaise n’entend pas plier bagage, assure-t-on au contraire à la direction du groupe. « Total reste pleinement engagé au Gabon et va pouvoir se concentrer sur la maximisation de la valeur de ses principaux actifs stratégiques », assurait Arnaud Breuillac, directeur général exploration et production, après la signature de l’accord avec Perenco.
Le secteur pétrolier gabonais, dont la production connaît un repli continu depuis le pic de 1997, ne s’est pourtant pas remis de la crise économique liée à la chute du prix du baril en 2014-2015. Avec de sévères conséquences sur l’économie du pays, ultradépendant des hydrocarbures, qui représentent près de 50 % du PIB, 60 % des recettes fiscales et 80 % des exportations. Avec la contraction de la rente pétrolière, l’endettement du Gabon a explosé, passant de 18 % du PIB en 2008 à 64 % l’an dernier, selon les chiffres officiels. Le 19 juin 2017, le FMI accordait à Libreville un prêt de 642 millions de dollars, en contrepartie de « réformes structurelles » pour « mobiliser des recettes non pétrolières supplémentaires » et « contenir les dépenses publiques ». Un an plus tard, si les Gabonais paient cash la facture de l’austérité, le « plan de diversification de l’économie » vanté par Ali Bongo Ondimba reste toujours sans effet sensible sur une économie moribonde.
Facture salée de l’austérité
La cure d’austérité annoncée par Ali Bongo Ondimba ne s’arrête pas à la réduction des effectifs pléthoriques de la présidence, les recrutements dans l’administration publique sont gelés pour trois ans et les fonctionnaires verront leur salaire amputé de 5 à 15 %. Les agents de l’État absents pour des raisons de santé ou ayant atteint les 60 ans seront tous simplement radiés. « Nous n’acceptons pas d’être des victimes expiatoires de cette austérité imposée. Nous ne sommes pas comptables de la malgouvernance criminelle ! » s’insurge Jean-Rémy Yama, président de la confédération syndicale Dynamique unitaire.