EDITO
Donner la parole aux managers de proximité, telle est la volonté de la CGT. On considère trop souvent que du fait des responsabilités qui sont les leurs, ils doivent taire leurs états d’âmes, avoir le doigt sur la couture du pantalon, et appliquer sans sourciller les directives qui cascadent des étages hiérarchiques supérieurs.
Souvent placés entre le marteau et l’enclume, ils doivent aussi composer avec les membres de leur équipe alors qu’ils n’ont pas forcément toutes les clés pour démêler les accrocs du quotidien.
Les primo-managers sont particulièrement exposés, eux qui sont souvent lancés dans le grand bain d’une fonction très différente de ce qu’ils on pu connaitre auparavant. Apprendre à nager tout de suite sans se laisser engloutir, et sans bouée…
Depuis 2021 , entre les départs engendrés par la rupture conventionnelle collective (RCC), la création de One-Tech, les multiples réorganisations dans toutes les branches, de nombreux postes de managers de proximité ont été pourvus par des primo-accédants. La CGT en a rencontré quelques-uns pour recueillir leur témoignage, leur retour sur cette expérience, pour beaucoup riche et éprouvante, et dégager quelques pistes pour ceux qui seront amenés à faire ce choix de carrière..
Qu’est-ce qui t’a incité(e) à devenir Manager ?
Les managers interviewés sont en majorité issus des domaines techniques. Mais la réponse à cette question est variée : le désir d’une expérience de « Manager coach », une opportunité de progression professionnelle « c’était la bonne période, même sans formation particulière, dans un domaine non pratiqué », souvent motivée par le souhait d’atteindre un niveau NP supérieur (fréquemment le NP14), par défaut de perspectives dans la filière technique, ou par manque d’attrait pour le parcours de spécialiste. Pour d’autres, en revanche, cela a été un glissement progressif vers ces responsabilités, sans réel choix, passant de simple ingénieur à adjoint puis à chef de projet. Il n’y a pas de parcours spécifique.
Les possibilités d’évolution semblent dépendre de la hiérarchie ou d’opportunités aléatoires, ce qui rend difficile toute projection durable.
As-tu été Préparé(e) à la prise de Poste ?
En théorie, la préparation à la fonction s’appuie sur un parcours structuré en trois modules : un module d’introduction avant la prise de poste, puis deux autres durant les deux premières années. Mais son accès et son contenu semblent trop dépendre du TD, requièrent une forte disponibilité et ne prennent pas en compte les spécificités de chaque entité d’accueil.
En pratique, les managers doivent souvent faire preuve d’une grande autonomie pour se former (« pas de temps tampon à la prise de poste pour prendre le temps d’apprendre, il faut tout de suite être opérationnel ». Le partage d’expérience entre managers est essentiel pour pallier les manques, notamment sur les aspects psychologiques et les processus RH comme le « Better together » ou le « Job grading » souvent trop flous.
A noter que pour certains, la transition s’est résumée à une entrevue avec le prédécesseur, un passage d’information en petites sessions durant l’été, certes préparées et soignées. Par forcément le plus confortable pour des primo-accédants. Des situations problématiques telles que des cas de RPS peuvent être aussi découvertes après coup, résultant d’un manque d’explications lors de la passation.
Le temps nécessaire pour se sentir à l’aise dans le poste varie de six mois à plus de deux ans, selon les personnes et la nature du poste. Il faut du temps pour mettre les choses en place, apprendre à connaître les gens..
Entre le marteau et l’enclume
Qu’est-ce qui t’a marqué(e) le plus entre l’idée que tu te faisais du poste et la réalité ?
Tous les managers reconnaissent avoir sous-estimé la dimension humaine du poste. Le poste est vécu comme émotionnellement éprouvant, « On se focalise sur la technique alors que la dynamique d’une équipe n’est pas simple à appréhender ». Il faut du temps pour comprendre les codes du dialogue et accepter qu’il soit impossible de satisfaire toutes les attentes. Le déficit de soutien hiérarchique est souvent pointé.
La découverte des outils Cats, Harmony, PH7, RH4U sur le fil ajoute un stress supplémentaire. Sans parler du Job Posting… La gestion dans l’urgence, le manque d’information, la complexité des processus, et l’absence de clarté sur les règles et périmètres accroissent le sentiment d’insécurité et d’isolement des managers, qui doivent souvent aller chercher eux-mêmes l’information nécessaire. Certains managers développent même leurs propres règles pour pallier le manque de cadre stable.
Quel bilan tires-tu de l’Expérience ?
Même si les deux premières années ont pu être plus compliquées, les managers interrogés, expriment un bilan globalement positif, malgré la prédominance des tâches de gestion, la diminution des aspects techniques et l’isolement du poste. L’équilibre vie professionnelle/vie privée est partiellement préservé, notamment grâce au télétravail et la possibilité d’organiser son temps (« j’aime bien arriver le matin sans trop savoir ce que je vais faire »). Malgré une charge horaire parfois élevée, la possibilité de dégager du temps pour la famille est appréciée.
Toutefois, cela peut entraîner une certaine dépendance aux outils numériques (écrans, téléphone) : il existe des « attendus », notamment en matière de disponibilité téléphonique, surtout si les primo-managers aspirent à progresser en NP.
Quels conseils donnerais-tu à des primo-managers ?
Les managers rencontrés recommandent aux primo-managers de bien réfléchir à leurs motivations : ne pas se lancer par défaut et être bien conscients de la dimension humaine du poste. « L’objectif est de se fondre dans l’équipe et pas de « prendre » une équipe. » Il est essentiel de s’adapter en permanence et une mauvaise gestion peut avoir des conséquences négatives. « Il faut comprendre le fonctionnement de chacun et ce sont les personnalités les plus différentes qui te demandent le plus d’énergie ».
La réussite dans ce rôle repose principalement sur l’intelligence relationnelle, la tolérance, l’organisation, la gestion de la charge émotionnelle et une bonne communication (« on n’est pas formés à ça, c’est pas forcément inné »). Ne pas hésiter à s’appuyer sur les compétences techniques de son équipe. Les risques principaux résident dans la volonté d’aller trop vite, de vouloir changer quelque chose au risque de casser la dynamique existante. Il ne faut pas forcer les choses mais poser des jalons pour ensuite y revenir.
Il ne faut pas délaisser la technique pour ne pas être déconnecté de ce que fait l’équipe, « ça t’apporte une certaine légitimité ». La frustration liée à la diminution de l’investissement technique est parfois compensée par la montée en compétences sur d’autres aspects du poste.
Et si c’était à refaire ?
La plupart des managers interrogés referaient le même choix de carrière, malgré les difficultés rencontrées. Pourtant, certains s’interrogent sur la poursuite dans cette voie, surtout à des niveaux de responsabilité plus élevés (NP15), en raison de la charge de travail et des conflits de valeurs potentiels (« on est entre le marteau et l’enclume »).
L’accès au poste de manager est souvent perçu comme une promotion, mais pour la CGT il s’agit en réalité d’un métier à part entière, très différent des fonctions techniques.
Un accompagnement renforcé, une meilleure anticipation des changements, une clarification des processus et un soutien accru font partie des revendications largement partagées.
Le turnover à 3 ans n’est pas considéré comme efficace considérant l’apprentissage nécessaire sur le poste.
L’isolement de la fonction n’est pas une fatalité.
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